samedi 9 octobre 2010

b.a.


Le Baron de Lapicole dégaina son dernier verre de rouge, avant de s'effondrer parmi les cadavres de bouteilles, issues d'une cuvée exceptionnelle de 1978.
Il se réveilla seulement le lendemain matin, avec une tronche de parpaing tartiné d'une génoise de tessons et verre pilé. Les poils synthétiques d'un balai brosse lui chatouillèrent les narines. La bonne nettoyait de bon matin, les excès du maître de maison, et elle en avait gros sur la patate de toujours devoir balayer ses remugles, et détacher les tapis à l'eau gazeuse et au sel.
Sentant, malgré son humeur fumeuse, qu'il était de trop dans la pièce, le Baron s'éclipsa par la fenêtre, mais il avait oublié qu'il était au deuxième étage. Heureusement pour lui, le jardinier, un peu enrobé, taillant les rosiers juste en dessous, amortit sa chute.
Le Baron partit se promener en ville. Il acheta un bouquet de fleurs, afin de se faire pardonner auprès de sa bonne, à qui il en faisait voir de toutes les couleurs, il en avait conscience. Dans un cimetière, il se posa sur un banc, et fit le point sur sa vie. Il commença à réfléchir aux bonnes choses qu'il avait faites. Il pensa à son vignoble, puis, plus rien... Bon, il passa aux mauvaises choses, pensant qu'entre temps, des actes positifs referaient surface. Pour faire démarrer son vignoble, il piqua des pieds de vignes en pleine vendange, il pissa dans les cuves d'un viticulteur pour faire couler son affaire et la racheter à bas prix, fit passer une année calamiteuse pour un grand millésime en rajoutant de la cendre de Gitane Maïs dans les bouteilles. Pour cela, il faisait fumer Nadine, sa femme, qui n'avait jamais touché une cigarette de sa vie. Elle s'asseyait à une table, avec dessus, une cartouche de Gitane, un briquet. Un rail, sur lequel défilaient les bouteilles, passait juste devant Nadine qui crapotait, et devait taper la cendre de sa cibiche juste au dessus du goulot. La pauvre, mourut quelques années plus tard, emportée sous les roues d'une roulotte.
Le Baron, essuya une larme. La liste de ses méfaits s'allongeait. Pour racheter sa conduite, il décida de faire, pour une fois dans sa vie, une bonne action.
Il repartit donc en ville à la recherche d'un acte de charité. Soudain, il vit, sur la place, une camionnette du Don du sang. Ni une, ni deux, il fit la queue pour donner de soi. Il ne restait plus qu'une personne devant lui pour entrer dans la camionnette. Il était si près du but, que, trépignant d'impatience, il jeta un œil à l'intérieur. Les murs étaient jalonnés d'affiches vantant les mérites du don du sang. Il vit alors une personne assise sur une chaise, dans une fâcheuse posture. Un infirmier cherchait en vain une veine, pour y enfoncer l'aiguille, qui d'ailleurs, était impressionnante aux yeux du Baron. Une seconde infirmière maintenait la personne qui se débattait, tordue de douleur, jetant des regards noirs au bourreau qui déchiquetait son bras. La patiente se débattit encore, et l'aiguille, qu'elle avait planté dans la peau, se cassa. La personne tomba dans les pommes. L'infirmière la secoua violemment, pendant que l'infirmier, tant bien que mal, essayait de récupérer le morceau d'aiguille.
Le Baron était liquéfié. D'un côté, il voulait fuir. De l'autre, il tenait vraiment à faire sa bonne action. Il regarda une dernière fois dans la camionnette, où l'ambiance semblait s'être calmée. Effectivement, la patiente avait disparu. Le Baron se mit sur la pointe des pieds pour voir dans le fond du camion, et il vit l'infirmière traîner la personne pour la cacher dans les toilettes. Pendant ce temps, l'infirmier préparait le fauteuil pour le prochain.
Le Baron s'éloigna tout doucement de la camionnette, l'air de rien, puis couru, sans s'arrêter, jusque chez lui, ne voulant pas finir comme la pauvre bougre engoncée dans les toilettes. Refusant d'échouer si près du but, il réfléchit à une alternative pour donner son sang sans avoir à subir ces atrocités. Puis, lui vint une idée.
Il alla dans la cuisine chercher un fait-tout, un couteau, une bouteille de vin, un tire-bouchon, du désinfectant, un fer à repasser, puis, il alla s'asseoir dans le salon. Il ouvrit la bouteille et la but d'une traite. Ensuite, il brancha le fer, enleva son pantalon, grimpa debout sur la table, et plaça son pied gauche dans le fait tout. Il prit le couteau, et perça avec un diable de précision l'artère circonflexe médiale de sa cuisse gauche, laissant couler le sang le long de sa jambe. Le fait-tout fut vite plein, et le Baron eut tout juste le temps de cautériser sa plaie avec le fer, avant de tomber dans les vapes. Il se réveilla quelques instants plus tard, et jeta un œil dans le fait-tout. Il sourit, et alla chercher dans la cuisine, des sacs congélations. À l'aide d'une louche, il remplit une petite dizaine de sacs qu'il referma et plaça dans son congélateur. Demain, il pourra aller porter un sac à la camionnette, et accomplir sa bonne action, sans douleur. En plus, vu qu'il en avait d'avance, si jamais il était encore des remords sur sa conduite, il pourrait toujours se racheter en allant porter un nouveau sac. Quel génie!
La bonne rentra une heure plus tard, la mine sévère. Le Baron lui offrit son bouquet de fleurs, et elle en fut tout émue. Pour le remercier, elle lui prépara un bon rumsteack, accompagné d'une succulente sauce au vin rouge toute prête.

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