mardi 5 octobre 2010

urinabilly


Il nous restait une heure, à attendre la correspondance qui nous ramènerait enfin chez nous, après 21 heures de voyage en train.
Assis depuis un moment sur l'unique banc du quai, je commençais à remuer sauvagement. J'en profitais pour aller uriner, m'étant retenu durant tout le trajet. Mon amie avait eu beau me dire d'aller dans les chiottes du train, je m'y refusais, de peur de me faire aspirer par la cuvette et éjecter sur les rails. J'avais déjà entendu parler d'un truc pareil, mais dans un avion. Je voyais pas pourquoi, ça ne pourrait pas arriver ici.
Donc, maintenant, je n'en pouvais plus. Je me dirigeais, sous le regard désabusé de mon amie, vers les toilettes de la gare. Arrivé aux portes, je m'apprêtais à faire jouer la cliche quand je remarquais un papier qui stipulait que la sainte clé devait être demandée au chef de gare moyennant la présentation d'un titre de transport.
Vingt minutes plus tard, je revenais avec la clé et l'introduisais dans la serrure de la porte, côté Hommes. Mais la clé refusa de faire un tour complet. Je forçais, sans succès, piétinant dans un style rockabilly devant la porte qui restait hermétiquement fermée. Puis, j'eus l'instinct de survie de lever la cliche, au moment où je tournais la clé. Je me précipitais vers les toilettes, vérifiant que le verrou de la cabine fonctionnait correctement, ne voulant pas être enfermé de l'intérieur.
Je fis mon affaire. Elle dura un certain temps et j'en profitais pour faire un rapide calcul.
Si on produit 1 ml d'urine par minute, que l'on a envie à partir de 300 ml et que la vessie peut contenir au maximum 700 ml avant d'imploser, on peut tenir environ 11 heures et une quarantaine de minutes avant d'évacuer. J'avais dû tout simplement battre un record en tenant plus de 21 heures. À moins que le fait de suer, ce soit comme si on urinait par la peau... Donc dans ce cas, mon record pourrait pas être validé. Faudra que je me renseigne en arrivant. En tout cas, pendant que je réfléchissais, j'avais cette musique en tête :

Yes i love you baby, i love, baby i love you,
Yes i love you baby, i love, baby i love you,
Yes i love you baby, i love, baby i love you.

Je me dis que c'était sûrement une sorte de mirage auditif dû à mon envie pressante. Maintenant que j'avais fini, je remontait ma braguette et tirait la chasse. La chanson continuait, et elle semblait bien réelle. Je collais mon oreille contre la paroi suintante. De l'autre côté, chez les Femmes, quelqu'un chantait. Un Homme.
Je sortis du côté masculin, et fis jouer la cliche de la porte des dames. Fermé. Je tournais la clé dans la serrure et eus un mal de chien à l'ouvrir. Je dus donner un grand coup de pied dedans pour l'entrouvrir seulement. Plusieurs coups d'épaules pour l'ouvrir en grand.
Une odeur de grenier irrita mes narines. À l'intérieur, tout semblait dater des années 70, et du carrelage au papier en rouleau, tout était intact. Au milieu de la pièce, un homme chantait et dansait sans plier sa jambe gauche. Soudain, il remarqua ma présence, s'approcha tout en continuant de se déhancher et me tendit une barre de chocolat. Je la pris par politesse et regardais la date de péremption pendant que l'artiste avait le dos tourné. 1971! Je toussais pour attirer son attention.
- La date est légèrement dépassée.
- Pourquoi? On est en quelle année?
- 2010.
Il continuait à chanter et danser.
- Déjà! Ça passe vite!
- Ça fait combien de temps que vous êtes là?
- Tu peux me dire tu.
- Oh, euh ça fait combien de temps que v...tu es là?
- Mmmmm...Bah trente-neuf ans!
Je le regardais avec des yeux de merlan frit.
- Mais... Vous êtes qui?
- Beh! Gene Vincent!
- Il est mort.
- Quoi! C'est arrivé quand?
- En...
Je jetais un coup d'œil à la barre chocolatée.
- He bien en 1971 en fait.
- ...
- Désolé.
- C'est génial vous voulez dire! Ils vont enfin me foutre la paix. À l'époque, j'étais criblé de dettes et mes créanciers me recherchaient activement. Ils m'ont retrouvé alors que je rentrais chez moi. J'ai réussi à les semer en m'enfermant dans les toilettes des dames, et n'ai pas osé sortir pendant un moment. Puis après j'ai perdu la notion du temps et je me suis méfié. Qui c'est, si ça se trouve ils m'attendaient encore là dehors. Donc je suis resté.
- Mais comment vous avez survécu trente-neuf ans dans des toilettes?
- J'ai fais un régime drastique. Je mangeais une feuille de papier toilette tous les trois jours. et buvais mon urine.
- Ouah c'est fort. Vous devriez écrire un bouquin.
- Tu crois?
- Pourquoi pas. Tout se vend.
Il se mit soudain à guetter à l'extérieur des toilettes. Je vis que son visage avait changé de couleur. Un doute m'habita subitement.
- Vous êtes sûr que vous êtes Gene Vincent?
- Évidemment! Écoutes!

Yes i love you baby, i love, baby i love you,
Yes i love you baby, i love, baby i love you
,
Yes i love you baby, i love, baby i love you
.

- Oui, il n'y a pas de doute possible.
- J'espère bien. Dis-moi... Ils... Ils sont partis?
- Qui?
Il jeta un regard à l'extérieur et simula un étranglement.
- AH! Oui c'est bon, il n'y a personne, à part mon amie.
- Elle fait pas huissier, comme boulot?
- Elle? Non, pas de danger.
Il exhala un soupir de soulagement. Puis il rassembla ses affaires, jeta son sac sur son épaule et sortit.
- Vous allez où?
- Je sais pas encore. Je verrais bien.
Il s'éloigna sur le bord du quai, passa à côté de mon amie qui lisait un roman. Il se retourna une dernière fois.
- Merci de m'avoir donné l'idée du bouquin gamin!
Puis il disparut.
Je restais planté là, devant la porte des toilettes, encore ivre de ma rencontre.
Puis je m'assis à côté de mon amie.
- Ça y est, tu as fini de pisser?
- Ah j'aime pas ce mot là.
- Oui bon. Et c'était bien?
- Ouais, j'ai rencontré Gene Vincent qui va écrire un bouquin grâce à moi.
- T'es sûr que c'était Gene Vincent?
- Évidemment! Écoutes :
Yes i love you baby, i love, baby i love you,
Yes i love you baby, i love, baby i love you,
Yes i love you baby, i love, baby i love you.

1 commentaire:

  1. Je viens de voir Freud dans mon frigo et je lui ai parlé de toi....il passera demain dans la soirée

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