mercredi 30 mars 2011

weekend rutilant

Sous un abri bus au toit de tôle percuté par des gouttes de pluie grosses comme des baguettes à tambours, Gérarnold, un journal trempé sous le bras, accompagné de son fils Guilderüc, attendait patiemment, l’arrivée du car. Ce dernier déboula sur le tard et les emmena droit vers la foire du Viking, où Gérarnold était responsable de la reconstitution historique d’un authentique village nordique, paisible et sans soucis, contrastant avec l’imagerie brutale et virile qui circulait encore dans l’esprit populaire. Avant d’arriver au village organisateur, il passa prendre quelques bricoles indispensables à sa reconstitution, qu’il avait acheté pour une bouchée de pain en fouillant dans les congélateurs du Geltout d’Aulnay-sous-bois, alors en liquidation judiciaire.
50 des 52 places du bus furent occupées par des blocs de glace de deux mètres de haut pour certains, deux mètres soixante-dix pour d’autres. Durant le voyage, Guilderüc serpenta entre les blocs, s’approcha de l’un d’eux et essuya d’un revers de manche la paroi. Au travers, il aperçut comme une touffe de poil qui semblait grincer. Il colla son oreille contre la glace quand son père le rappela à l’ordre. Sa chaleur corporelle pourrait faire fondre la glace et ainsi mettre à mal l’organisation de l’évènement. Guilderüc retourna à sa place dans un froid hivernal. Le chauffeur, un temps, enclencha le chauffage intérieur. Mais il l’arrêta bien avant que Gérarnold ne vienne porter réclamation, remarquant que la moquette de son bus était trempée, qu’elle allait moisir, que son patron allait gueuler et qu’il devrait financer l’intégralité des travaux d’intérieur pour remettre à neuf le revêtement.
Les courbes généreuses du village organisateur se dessinèrent sur le lointain. Gérarnold pataugeait d’impatience dans le bus car les glaces fondaient plus vite que prévu. En effet, dans ses calculs, il avait omis de prendre en compte le dioxyde de carbone dégagé par le chauffeur.
Le bus recula jusqu’à l’entrée du village où furent déchargés les blocs de glaces, sous la houlette de Gérarnold qui suintait le stress. Guilderüc pénétra dans le village reconstitué. C’était un patelin grimé pour l’occasion en village d’époque. Il admira la fidélité des lieux et le travail acharné de son géniteur. Il se balada dans les ruelles tapissées de terre, pénétra dans les maisonnées où parfois même un feu brûlait sous un chaudron, inondant la pièce d’une chaleur dévorante et familiale, fleurant bon les gâteaux de mamie. Mais Guilderüc remarqua bientôt que, si tout était parfaitement en place, il n’y avait pas âme-viking qui vive dans ce village.
Soudain, il vit son père disperser les blocs de glace avec minutie aux intersections des ruelles, dans les maisons, sur les perrons, un peu partout. Il n’en comprit la raison que quelques instants plus tard. Sous la chaleur torride, les glaces fondirent, révélant les carrures puissantes et les postures belliqueuses d’une cinquantaine de vikings plus vrai que nature. Guilderüc tapota la cuisse de l’un d’entre eux qui brandissait une hache qui inspirait peu confiance, et constata qu’il était encore bien congelé. Il scruta le regard cruel du viking et crut percevoir un frétillement de rétine quand monsieur le maire débarqua pour faire son discours d’inauguration.


Gérarnold fut mis à l’honneur et se fit flasher la poire aux côtés du maire tout sourire. Devant une foule bien pressée de visiter la foire et le village, il raconta en 254 mots la génèse du projet, remercia le maire et son beau-frère qui l’avait rencardé sur la liquidation de Geltout, une aubaine et la clef de voute de la reconstitution. Le maire coupa ensuite le cordon d’inauguration avec une petite hache de courtoisie, forgée pour l’occasion, en clin d’œil à la culture représentée. Puis les badauds piétinèrent les allées, tripotèrent les boucs, les barbes, les cuisses, les fourrures des statues encore givrées, sous un torrent de “ooooh” et de “aaaah”.
Au fil de la journée, la température grimpa encore et bientôt, les vikings se mirent à suinter, et donnaient l’impression de s’affaisser. Une odeur de rat crevé empli les ruelles. Le maire rejoignit Gérarnold pour s’en plaindre. Pendant ce temps, un enfant donnait des coups de pieds à un viking de deux mètres 40, armé d’une hache finement aiguisée, tandis que sa mère suçait une glace, peu intéressée par la valeur historique de l’évènement. Sans le savoir, l’enfant, en donnant des coups de pieds à répétition au même endroit, stimula l’afflux sanguin du viking qui reprît goût à la vie, et abattit, sans prévenir, sa rutilante hache sur la mère qui fut fendue en deux, et déversa sa tripaille sur le gosse qui ne manqua pas de vomir sur les boots du viking. Gérarnold et le maire stoppèrent leur discussion, alertés par le bruit horrible et se dirigèrent vers la zone sensible. Arrivé sur les lieux, Gérarnold constata les dégâts et évita de justesse la lame de la hache que le viking faisait tournoyer au tour de sa tête avec une aisance déconcertante. Le maire fusilla Gérarnold du regard. La foule s’amassa autour du viking et applaudit l’effort de reconstitution. Devant la réaction du public, le maire félicita alors Gérarnold qui n’était pas rassuré par la tournure que prenait l’évènement. Il masqua malgré tout ses doutes derrière un sourire Colgate. Le viking décocha sa corne de brume et la fit résonner. Nouvelle salve d’applaudissement parmi les badauds. Puis le sol se mit à trembler comme si un défilé de chars d’assauts roulait sur la départementale.
Guilderüc, qui flânait du côté des écuries, lisait le journal trempé que son père avait glissé dans sa poche le matin, avant de grimper dans le bus. En parcourant les pages, il tomba sur un article faisant état d’un vol récent, dans un laboratoire de province, de guerriers nordiques cryogénisés en leur époque par une équipe venant du futur alors qu’ils pillaient et massacraient un village qui n’avait rien demandé. Guilderüc abaissa le journal et vit un troupeau de vikings fraîchement décongelés faire voler boyaux, tripailles, poches de sang, et têtes, étriper des corps en charpies et écraser des crânes et des cages thoraciques qui giclaient en une fine pluie d’os concassés qui jusqu’alors appartenaient à une foule curieuse et assoiffée d’histoire. Il voulut courir vers son père pour l’extraire de cette bidocherie et ne remarqua donc pas le viking retardataire qui le faucha comme les blés dorés au soleil.
Gérarnold, coincé sous les corps qui s'amoncelaient, rampait pour sa survie quand une paire de bottes en fourrure se placèrent devant lui. Il leva la tête et vit une hache brandie s’abattre sur lui. Il ferma les yeux et prononça une dernière prière à la hâte.

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Aujourd’hui, Gérarnold est l’unique survivant non-nordique de cette foire aux vikings. Il fut épargné in-extremis par un viking compatissant, et fut hissé au rang suprême de grand-chef-chef pour avoir prononcé, par un hasard absolu, durant sa prière hâtive, les paroles prophétiques de l'escadron de la Furie qui allait permettre d’étendre leur Empire. Gérarnold, ne voulant pas contredire des types qui ont le massacre facile, abonda dans leur sens. Il règne maintenant, malgré lui, sur le nouvel Empire Viking qui s’étend sur quatre continents. La prochaine tournée étant prévu dans le sud de la France, nous conseillons aux habitants de serrer les fesses et de ne pas appeler les secours.

mercredi 23 mars 2011

l'ininsécurité

Depuis quelques temps, des vols de surgelés avaient lieu à répétition dans le magasin de la célèbre enseigne Geltout, rue Caillemiche dans le 43e district d’Aulnay sous bois.
La tête de Maillecky, agent de sécurité du magasin, était sur le billot du patron qui lui avait donné un ultime répit pour mettre un terme au pillage.
Après une nouvelle journée infructueuse où quatre paquets de frites, huit assortiments de glaces choco-vanille et des tourtes forestières avaient deserté, Maillecky rentra chez lui et s’effondra dans le canapé libidineux de son salon., réfléchissant en vain au moyen d'accroitre son potentiel de surveillance. Il alluma son poste transistor pour écouter son habituel “jeu des huit euros”. Mais en lieu et place, se tenait un bulletin météo particulièrement bref et alarmant.

"Demain, de 10h15 à 10h32 un nuage radioactif survolera la majeure partie du pays sous un soleil radieux. Veuillez rester enfermer pour éviter toute mutation intempestive."

Puis la radio se tut. Dans la rue, une rumeur se mit à gronder. La panique sévissait. La population courait dans tous les sens, les volets claquèrent, les portes se fermèrent. En un instant, la rue fut déserte, silencieuse.
De la radioactivité, Maillecky n’en connaissait que les effets néfastes qui consistaient à développer sur les personnes contaminées, des aberrances physiques allant de la tête à trois corps aux doigts à six phalanges, en passant par l’homme au cerveau électrique et l’homme mouche au millier d’yeux...
Durant une poussière de seconde, les terminaisons nerveuses de Maillecky firent résonner dans sa tête cette dernière remarque. Une étincelle brilla alors dans son fond d’œil. Aux milliers d’yeux qui lui permettraient, à lui, Maillecky de repérer ces saligots de chipeurs de surgelés!


Le lendemain, à 10h14, alors que tout le personnel de Geltout se cloitrait dans la salle des coffres du magasin, Maillecky s'éclipsa en douce, et sortit pour affronter le nuage qui s’avançait. A 10h15 et 34 secondes, Maillecky expulsa l’air propre de ses poumons pour inspirer à bloc, l’air contaminé. Pendant les 17 minutes de traversée radioactive, il inspira, expira à plusieurs reprises pour maximiser ses chances de mutation, en pensant fortement aux milliers d’yeux et aussi à une douzaine d’oreilles, pour capter le moindre craquement de paquet surgelé glissé sous un manteau. Les oreilles, il y avait pensé dans la nuit. Une fois le nuage passé, il retourna dans le magasin et se glissa comme un anguille dans le personnel qui sortait de la salle des coffres.
Pendant la pose de midi, Maillecky fut prit de violentes douleurs intestinales. Il fila s’enfermer dans les toilettes où il convulsa un bon moment avant de s’évanouir. Lorsqu’il se réveilla, il se gratta la tête et palpa une méchante bosse. Dans le miroir des wc, blanc comme un mort, il constata qu’il avait, non pas un hématome, mais trois paires d’yeux supplémentaires, cachées dans son cuir chevelu. Il ferma ses yeux de devant et vit derrière lui avec une clarté sans précédent. Il se tâta tout le corps et fut légèrement déçu de ne pas découvrir d’autres oreilles.
De retour à son poste, Maillecky avait les sens en alerte. Et dans l’après-midi, il repéra un groupe de cinq jeunes se dispersant avec méthode dans le magasin.
Il se posta au croisement stratégique des rayons cônes de glaces et poissons frais pour avoir une vue d’ensemble, et activa ses facultés oculaires. En un tour de globe, et au même instant, il vit, aux cinq coins du magasin, les malfaisants perpétrer leurs forfaits. Ni une, ni deux, Maillecky fondit sur le premier et lui brisa les cervicales. Le corps du voyou commençait à peine à s’effondrer qu’il partit dans la direction de son 5è œil gauche pour enfoncer la tête du second brigand dans un paquet de chouquettes congelées qu’il avait enfilé dans son pantalon. Sa nouvelle paire d’oreilles, qui avait poussé entretemps, capta les pas agités des trois derniers jeunes qui se dirigeaient ensemble vers la sortie. Maillecky les devança et se posta de dos devant la porte. Les jeunes s’approchèrent de lui sans rien suspecter. Puis soudain, les tenant à sa portée, Maillecky écarta ses cheveux pour révéler ses yeux vigilants, les jeunes eurent à peine le temps d’étouffer un cri, qu’il leur colla son talon dans les gencives.
Plus tard son patron le félicita et lui accorda une augmentation de 10 euros sur sa paye. Maillecky fit la une de tous les journaux avec la légende suivante : "Le nucléaire contre l’insécurité".

Aujourd’hui, Maillecky est vigile suprême de la chaîne Geltout. Il surveille à lui seul, l’ensemble des magasins de France et d’étranger. Vous pouvez le voir au Geltout d’Aulnay sous bois, son fief, son chez lui aussi, car il ne peut plus se déplacer. Ses mille-huit cents paires d’yeux et ses quarante-quatre paires d’oreilles l’ont fixé au sol du magasin. Il a la forme d’un dôme de 14 mètres de diamètre. Il est heureux car il fait bien son boulot.