mercredi 29 septembre 2010

le compte est bon


Je faisais mon jogging habituel en taxi. Je roule toujours pour 7 euros 64, somme que j'ai sur moi, en petite monnaie, compte juste, ni plus, ni moins, amassée dans une seule poche. J'avais prévenu le chauffeur, un nouveau venu, de mes lubies. Car, en règle générale, les débutants sont pris de peur devant l'audace de ma démarche de courir en taxi.
Je demandais à ce que le chauffage soit poussé au maximum pour ressentir l'intensité de la course. Ainsi, je pouvais m'asperger d'eau pour m'hydrater. Je jetais de l'eau sur le chauffeur en sueur, qui voulut ouvrir les fenêtres. Je me vis dans l'obligation de le ceinturer, pour l'empêcher de commettre l'irréparable qui ferait baisser mes performances. J'évitais quelques accidents en prenant le contrôle du véhicule du bout du pied droit.
Bref, la course se déroulait à merveille, malgré l'humeur néfaste du chauffeur.
Puis enfin, le compteur approcha du compte juste. À 7 euros 61, je prévenais le chauffeur qu'il fallait s'arrêter. Il chercha un endroit où stopper son véhicule. À 7 euros 62, il voulu ts'arrêter devant une sortie de garage, mais un véhicule en émergea. Le taxi poursuivit sa route. À 7 euros 63, il ralentit mais des voitures klaxonnèrent derrière.
Je commençais à transpirer abondamment. Je pressais ma bouteille d'eau pour m'hydrater mais elle était vide. Le compteur affichait désormais 7 euros 64. Je m'agitais à l'arrière et ordonnais au chauffeur de stopper immédiatement. Par chance, il put s'engouffrer sur un petit parking et écraser la pédale de frein. Mon visage s'enfonça dans l'appuie-tête. La voiture s'arrêta. Je relevais la tête et regardais le compteur qui affichait 7 euros 65. J'étais tétanisé. Le chauffeur se tourna vers moi. Je le dévisageais un moment, puis sortais avec assurance, de ma poche gauche, mes 7 euros 64 en petite monnaie. Je lui donnais en lui disant qu'il y avait tout pile le compte et quittais le taxi. Mais il m'attrapa le bras, voulant vérifier avec moi le total. Je lui dis qu'il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, car je cours toujours avec la même compagnie de taxi, payant à chaque fois, 7 euros 64. Il consulta alors sauvagement son compteur, puis me dévisagea. Il me maintenait fermement, mais je réussis à m'extraire de son emprise, lui laissant entre les doigts, mon protège-poignet empli de ma sueur.
Je m'éloignais alors du taxi en marchant à bonne allure. Mais le chauffeur sortit et me poursuivit. Ma démarche s'accéléra brutalement. Je distançais mon poursuivant qui hurla, à bout de souffle, qu'il me retrouverait coûte que coûte, pour arracher à mes doigts morts et refroidis, le maudit centime qui allait peut-être lui faire perdre son boulot.
Je m'arrêtais, essoufflé. Je voulus essuyer la sueur sur mon front, mais j'avais perdu mon protège-poignet durant la bataille. Je fouillais donc dans mes poches. Rien dans la gauche. Mais, dans la droite, je trouvais, non pas un mouchoir, mais une pièce d'un centime. Ma tête se mit à tourner violemment. Je regardais la pièce, abasourdi. J'allais faire demi-tour, mais le visage furieux du chauffeur me revint en mémoire.
C'est décidé, j'enverrai plus tard à ce chauffeur de taxi, un mot proposant un rendez-vous discret pour échanger la pièce contre mon protège-poignet. Il ne pourra jamais refuser.

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