lundi 27 septembre 2010

en progrès


Jean Geaihanver et Luigi Beaunepoare devisent à un comptoir. Jean n'a pas sa langue dans sa poche. Luigi, introverti et philosophe, a un cœfficient d'attention de 0,0001. Ça lui pose quelques problèmes dans son quotidien, et il a décidé de faire des efforts pour s'en sortir. Il fixe donc sa bière pour se concentrer.

- Je voudrais pas te le répéter cent fois. Alors ce coup là, tu m'écoutes, tu m'interromps pas, tu te concentres sur ce que tu veux, tu peux regarder ta bière si ça te chante, mais tu loupes pas une miette de ce que je vais te dire, ok? Bon j'vois que tu es ok donc, tu ouvres bien grandes tes esgourdes.
Le truc, comme je te l'ai déjà dit, c'est que je pourrais pas être présent demain pour le rendez-vous. J'ai un imprévu. Alors ce que je te demande de faire, c'est d'aller chez moi et de refaire toute la tapisserie. Tu verras, les rouleaux de papiers, la colle, les pinceaux et la table sont dans le salon à côté de l'horloge comtoise.
Si elle est encore là, tu diras à ma femme, que tu n'as jamais vue, mais tu ne pourras pas la louper parce que c'est la seule gonzesse qu'il y aura à la maison. Elle est gaulée comme une pompe à vélo qui aurait écumé les routes du Tour de France, et elle a des manies bizarres.
C'est depuis qu'elle a lu son fichu bouquin "Le retour à la modernité naturelle", elle conserve toutes les épluchures de légumes pour se faire des vêtements bio-dégradables à usage unique. Elle a commencé petit, avec de la lingerie et puis elle est directement passé à l'anorak et la combinaison de ski intégrale. Le pire, c'est que toutes ses copines en sont folles, alors elle en a fait un commerce qui lui rapporte des sommes indécentes. Tu la verrais maintenant la Madame, qui se trimballe avec ses colliers de fanes de carottes, et son manteau en poils de kiwi. Ça pue, c'est pas possible. Tous les soirs, elle invite des gens qui payent des millions pour avoir un châle en peau de patates. Et elle leur montre comment on fait! Elle est en train de foutre en l'air son business en leur donnant ses secrets. Mais bon, moi, je dis rien, elle me parle plus depuis que j'ai jeté mes épluchures de pommes à la poubelle. Maintenant, on fait chambre à part, elle dort sur un tas de compost. En même temps, tant mieux, parce qu'elle ronfle, c'est pas humain. Elle se met des spaghettis de courgette dans les narines pour se dégager les sinus, mais j'ai plus l'impression que ça les bouche. Faut la voir se mettre les spaghettis dans le nez, puis inspirer d'un coup pour les faire rentrer. Ensuite, elle se racle la gorge pour les faire ressortir par la bouche, et elle va se coucher comme ça.
C'est un vrai tue l'amour cette femme. Et maintenant sa lubie, c'est de se lancer dans les objets érotiques en compost. Bouh, rien que d'y penser ça me... Braargh... Bref, on est pas là pour se rendre malade mais plutôt pour que tu dises à ma femme, que j'ai gagné cinq ans de fruits et légumes en conserves à un jeu au supermarché, qu'on est pas prêt de racheter du frais, et que si elle me fait l'affront d'en acquérir, je lui bloque la CB, le chéquier, l'argent de poche et les dons en nature. T'as bien tout compris? Bon ok, allez, on m'attend, faut que j'aille récupérer les 854 palettes de conserves. Salut!

Jean quitte le bar. Luigi, seul, semble extrêmement concentré, comme si il se faisait une liste mentale des tâches qu'il doit accomplir. D'ailleurs, il sort un petit carnet et un crayon de la poche intérieure de sa veste pour les noter. Soudain, sa lèvre supérieure se décolle sèchement de sa lèvre inférieure :

- Regarder une bière sans la toucher, c'est une souffrance inimaginable.

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