mercredi 20 avril 2011

essence dessus. dessous.

Après avoir parcouru quelques cent kilomètres à une allure semi-vive, Roulio débraya pour s’engouffrer dans la zone de ralentissement qui menait à la station Shootal.
Pestant sur le prix du litre à 3 euros 97, il stoppa son véhicule à la borne, dévissa son bouchon d’essence, saisit le pistolet du sans plomb 98 et l’enfila dans le réservoir.
Tout en faisant le plein, Roulio épousseta la medal of honor qui pendait sur son T-Shirt des White Sox. Le compteur défilait. Le truc de Roulio, quand il était à la station, s’était de remplir son réservoir jusqu’à ce que ça déborde et qu’une goutte d’essence glisse le long de la carrosserie. Alors seulement relevait-il le pistolet et allait payer. Mais en ce moment, le compteur défilait encore et aucune goutte ne se pointait. 20, 30, 50, 70, 90, 120. Roulio venait de mettre 120 litres dans son réservoir et il ne semblait aucunement rassasié. Roulio arrêta de remplir, vérifia le pistolet et se mit de l’essence plein les godasses. Il se baissa alors pour regarder sous sa voiture. Il posa ses genoux à terre, et le pistolet toujours à la main, vit l’envers du décor.
Il recula soudainement, pétrifié, car sous son véhicule était accroché un enfant, engoncé dans pantalon bretelles, qui tripotait son réservoir. Roulio le braqua avec le pistolet d’essence et meugla un :
- Freeeeeeeeeze!
L’enfant tourna son regard vers Roulio et stupéfait, il lâcha prise, roula sous la voiture, du côté opposé à Roulio et s’apprêtait à s’enfuir quand Roulio tira sur le fil de la pompe au maximum et jeta le pistolet qui atteignit la tête de l’enfant. Ce dernier s’effondra.
Roulio fit le tour de son véhicule. Sur le sol bitumé, gesticulait, non pas un enfant, mais un homme de petite taille. Roulio venait de trouver un nain qui lui siphonnait le réservoir. Roulio regarda autour de lui, la station était déserte. Il traina le nain groggy dans sa voiture et s’y enferma avec lui. Il tira les rideaux pour plonger l’habitacle dans l’obscurité totale. Il menotta le nain et l’installa sur la banquette arrière. Roulio sortit de la boîte à gant une valisette en aluminium dont il extraya un étrange appareil ressemblant à un sismographe et muni d’un petit écran cathodique. Il fixa au bras, et au crâne du petit homme des capteurs sensoriels. Il sortit aussi une lampe de bureau qu’il braqua en direction du nain. Son allumage brutal réveilla ce dernier et l’aveugla un instant. Spécialiste des interrogatoires musclés, Roulio allait tirer les vers du nez de son chipeur de sans plomb.
- Qui êtes-vous et pourquoi siphonniez-vous mon réservoir?
- Je sais pas si on peut vraiment conjuguer ce verbe à l’imparfait, et si on peut vraiment parler de siphonnage...
- Répondez simplement à la question ou je vous détartre les chicots à coup de cent mille volts, dit Roulio en approchant sa main d’un boitier au design menaçant.
- Je m’appelle Bertrand Laroutourne et je vidais votre réservoir parce qu’on à piquer le sac à main de ma femme, balança le nain.
Les aiguilles du détecteur bougèrent à peine. Roulio persista.
- Je vois pas le rapport.
- On lui a piqué sur l’aire de Verdun.
- Mais c’est là où je me suis arrêté la dernière fois pour faire de l’essence. Vous me suivez donc depuis ce temps là!
Le nain suait et déballa son histoire.
- Oui... mais Non! écoutez dans son sac il y avait cb, chéquier et liquide. le réservoir de notre camping-car était à sec donc on a stoppé sur cette aire. Mais avant de faire le plein, on a été au pipi-room. Là, on s’est séparé. Je suis sorti l’attendre, adossé au camping-car parce que j’avais fini mes commissions avant elle, et voilà qu’elle me raconte ça. Au côté dames, ma femme à poser son sac par-terre dans les wc, elle a fermé la porte mais vous savez ce sont ses portes avec un jour pas possible en dessous et là, elle a vu une main passer en dessous et saisir son sac alors qu’elle était en plein effort pour larguer sa dernière roquette. Elle a rien pu faire.
Le nain eu un haut de cœur, et émit un bruit immonde qui dispersa dans l’air des vapeurs pétroléennes. Mais il continua son histoire.
- J’étais effondré, je nous voyais déjà finir notre vie ici, et c’est pas ce qu’on avait prévu, enfin et puis les gosses, il aurait fallut les faire changer d’école ou les faire bosser au camping-grill. Je m’effondrais par terre quand j’ai vu votre voiture, c’était d’ailleurs la seule. J’y ai vu un espoir vous comprenez. De quoi sauver ma famille d’une triste retraite. Alors j’ai foncé, me suis caché entre les bornes d’essences. Et profitant d’une seconde de votre inattention, j’ai roulé jusque sous votre voiture où j’ai percé votre réservoir. Blourp blourp. Je commençais à avoir suffisamment d’essence pour que l’on puisse au moins rentrer chez nous quand soudain vous avez démarré et enclenché la première. Je n’ai pas eu l’occasion de me détacher et j’ai vu ma famille courir après la voiture. J’ai échangé avec eux un dernier regard avant de disparaître à toute blinde sur l’autoroute. Bllllourrrp.
Roulio écoutait avec grande attention. Il ouvrit un peu la fenêtre côté passager pour aérer l’habitacle.
- Vous avez parcouru plus de cent kilomètres accroché sous ma voiture?
Le nain acquiéça.
- Mais l’essence vous l’avez mise où? Je n’ai vu aucun baril attaché à ma carlingue?
Bertrand tapota sa bedaine.
- Mais il a une capacité de combien de litres votre estomac puisque vous avez encore réussi à me siphonner 120 litres là plus je ne sais combien sur l’aire de Verdun?
- Verdun ça compte pas. Avec les remous et les aspérités de la route j’ai tout perdu. Donc on peut dire... on peut... bllllou...
- ça va?
- Bllllourp
Le nain fit non de la tête.
- Attendez vous allez pas gerber de l’essence dans mon habitacle!
Roulio ouvrit la porte et sortit Bertrand qui avait la main devant la bouche.
- Pas par-terre non plus! Je l’ai payé l’essence que vous avez dans le bide! J’ai peut-être une belle bagnole mais c’est pas pour ça que je roule sur l’or. Bougez surtout pas.
Roulio ouvrit son coffre à la recherche d’un bidon. Rien. Pendant ce temps, Bertrand piétinait. Roulio bascula dans son coffre pour en fouiller le fond et ne trouva qu’un entonnoir. Il s’en saisit, dévissa le bouchon de son réservoir et y enfila l’entonnoir. Il tira Bertrand mal en point.
- Allez-y rendez tout là dedans!
Bertrand ne demanda pas son reste et vomit l’essence dans le réservoir tout en fouillant dans ses poches. L’essence pissait sur le bitume et les groles de Roulio furent inondées.
- Merde la brèche!
Bertrand tendit alors un rouleau de scotch du surplus de l’armée que Roulio saisit. Il en arracha un bon morceau puis fila sous la voiture. Aspergé d’essence, il scotcha le trou gros comme une pièce de 2 euros puis se redressa, et s’ébroua.
Bertrand enfin, finit de transvaser l’essence de sa bedaine vers la voiture de Roulio. Il s’essuya les comissures des lèvres.
- Merci, dit Roulio, aletant, en tendant le rouleau de scotch.
Bertrand, la bouche pateuse, ne pouvant articuler un mot lui fit signe de rien.
Un silence s’abattit sur la station. Puis Roulio le brisa.
- Dites, ça vous direz que je vous paye votre lot d’essence.
- Bah je dis pas non mais c’est pour retourner auprès de ma famille...
- Je vous dépose si vous voulez.
- ça va vous faire un détour.
Roulio haussa les épaules.
- Ok. Mais vous n’avez pas de bidon pour transporter l’essence.
- Mais vous avez une bedaine, rétorqua Roulio.
Et tous deux se mirent à rire tandis que Roulio saisissait le pistolet et que Bertrand ouvrait la bouche dans une ambiance bercée par la musique de fin, un truc genre sting et que la caméra opérait un mouvement de travelling arrière et s’élevait dans les airs, révélant la highway au bitume foulé par une myriade de véhicules.

FIN


Roulio et Bertrand s'en jettent un petit dernier

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